L’émaillage iranien ou “minâkari” est aussi poétiquement appelé “miniature de l’incendie”, et ce n’est pas pour rien : l’émaillage découle d’une alchimie entre les éléments par la chaleur du feu. La fusion de matières à la fois minérales et végétales permet l’obtention d’éclatantes couleurs, parmi elles, le bleu azur, auquel le terme “minâ” fait référence. Ce travail du feu est complété par un travail minutieux de peinture, de coloration et d’ornement qui fait toute la splendeur de cet art. Techniquement, l’émaillage persan se décline en trois catégories : la peinture émaillée, le tchârkhâneh signifiant “en carreaux” et la cavité émaillée.
Si la technique de l’émaillage persan est si élaborée, c’est qu'elle est le fruit de millénaires de savoir-faire. En effet, l'artisanat de l’émaillage remonte à 1500 av J-C, en pleine dynastie sassanide, mais certaines œuvres datent de l’empire achéménide comme l’un d’une paire de brassards du trésor d’Oxus exposé au Victoria and Albert Museum et qui était autrefois incrusté d’émail.
Au fil des dynasties et des influences de ses voisins, l’émaillage persan mute et nous livre un formidable témoignage des bouleversements culturels traversés par l’Iran. Ainsi, l’influence arabe à partir du VIIème siècle est palpable à travers les motifs caractéristiques de l’islam que l’on retrouve sur les objets issus de l’émaillage.
Dès le XIIIème siècle, le style de cet art change de nouveau sous l’influence de l’Empire Mongol : la représentation de personnages de la cour impériale remplace les arabesques et annonce un renouveau culturel. C’est d’ailleurs le souverain mongol Ghâzân Khân qui aurait contribué à l’élaboration de la technique de l’émaillage grâce à ses précieuses connaissances en chimie.
À partir du XVIème siècle, à l’époque des Safavides, la culture persane s'épanouit pleinement. L’émaillage caractéristique de cette période prospère nous le révèle : les vases en argent sont parés de dessins en miniature représentant les fêtes de la cour, les guerres, les activités auxquelles s’adonnaient les nobles comme la chasse ou l’équitation. Nous retrouvons également des motifs rappelant la poésie persane composés d’oiseaux et d’animaux sur des fonds floraux de diverses couleurs parmi lesquelles le bleu céleste et le vert amande.
Au cours du XIXème siècle, sous le règne fastueux des Kadjars, l’émaillage se décline en de nombreux objets : des plats en or aux boucles d’oreilles, en passant par les bracelets, les boîtes et les vases. Ces objets, qu'ils fassent partie du quotidien ou qu’ils soient purement ornementaux, ont en commun la prédominance de bleu azur et de vert offrant une forte intensité chromatique.
Bien que l’on rapporte que les périodes antérieures à celle des Kadjars ont été prospères en termes de fabrication d’objets émaillés, la fragilité des émaux a fait que nombre d’entre eux ont disparu à ce jour. Par conséquent, la majorité des pièces datant de l’ancienne Perse nous proviennent de l’époque des Kadjars.
Nous ne pourrions aborder l’émaillage persan sans évoquer Ispahan qui en est le berceau. La décoration de métaux émaillés caractérise et sublime l’architecture et l’art de cette ville mythique. Encore aujourd’hui, la peinture émaillée y demeure une pratique artisanale alors qu’elle s’est essoufflée dans les autres villes d’Iran. Dans la rue Tchahâr-Bâgh, non loin de la place Naqsh-e Jahân, il est possible d’admirer les œuvres des artistes locaux dont la technique se transmet de père en fils. Parmi ces artistes, l'illustre Shokrollâh Sani’zâdeh, qui est à l’origine de pièces contribuant au rayonnement de cet art.
Aujourd’hui comme il y a mille ans, l’émaillage symbolise le raffinement de l’art persan et nous livre un précieux témoignage des différentes périodes traversées par l’Iran. Bien que la culture persane ait subi les bouleversements liés aux invasions et aux dynasties successives, l’émaillage a non seulement subsisté mais il a évolué, nourri par les innovations propres à chaque époque.
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