Le tapis persan fait partie des artisanats les plus aboutis du monde oriental. Aux yeux du monde entier, il est l’incarnation même du raffinement de la culture iranienne et ce, depuis sa découverte par les européens à l’époque des Croisades (vers le XIIIème siècle). Si le tapis persan est si techniquement élaboré, c’est qu’il est le fruit de millénaires de savoir-faire : le plus ancien tapis découvert à ce jour, le tapis Pazyryk, date du Vème siècle avant J-C. La technique de tissage exceptionnelle de ce tapis, un cadeau des Perses achéménides à un prince scythe, prouve qu’à l’époque des Achéménides, soit il y a 2500 ans, le tapis était déjà un artisanat élaboré. Quelles sont alors les origines du tapis persan ? Quel est son secret pour être si intemporel ?
Des tribus nomades aux cours royales, l’histoire d’un savoir-faire
Le tapis persan fait ses débuts en servant d’isolant thermique aux tribus nomades de Perse lors des hivers rudes. La laine de mouton permettait de maintenir la chaleur dans les huttes tout en servant à perpétuer les symboles et motifs tribaux. Petit à petit, ce savoir-faire a gagné les villes où les matières utilisées et les motifs sont devenus plus raffinés et le tissage s’est érigé en un véritable art de cour. On raconte même que de somptueux tapis ornaient la cour du fondateur de l’empire perse Cyrus Le Grand, 500 ans av. J.-C.
D’anciens textes originaires de Chine nous rapportent qu’en 628 ap. J.-C., l’empereur Héraclius rapporta plusieurs tapis au retour de sa conquête de Ctésiphon (non loin de la ville de Bagdad actuelle), la capitale sassanide. Puis presque une décennie après, les Arabes également conquirent Ctésiphon et rapportèrent nombre de tapis dont le fameux tapis jardin "le printemps de Khosrô" dont les motifs rappellent un jardin luxuriant. Cet ouvrage somptueux est considéré comme l’un des tapis les plus précieux de tous les temps. Tissé sous le règne de Khosrô I (531-579 ap. J.-C.), sa surface atteint les 8 mètres carrés.
Suite à l’invasion arabe, une tribu turque du nom de Seljuk, domina la Perse entre 1038 et 1194 ap. J.-C. Cette période marque un véritable tournant dans l’histoire des tapis persans car leur technique se retrouva bouleversée. Les femmes seljuks qui étaient d’habiles tisserandes, introduisirent la technique du noeud turc, aussi appelé "Ghiorde", cette dernière est d’ailleurs toujours utilisée dans certaines régions.
Alors que dans le nœud persan aussi appelé "Sinneh", le brin forme une seule spirale autour de l’un des deux fils de chaîne, dans le nœud turc, le brin de laine est enroulé autour de deux fils de chaîne, de façon à former deux spirales dont les extrémités ressortent entre les deux fils.
Plus tard, durant la domination par les Mongoles entre 1251 et 1447, les envahisseurs ont vite intégré la culture persane, en effet, le sol du palais de Tabriz de l’empereur Ghazan Khan était couvert de tapis précieux. Il est stupéfiant de constater à quel point le tapis persan et son savoir-faire sont parvenus à survivre en dépit des invasions au fil des millénaires et des siècles.
Sous la dynastie safavide, et en particulier sous le règne du Shah Abbas, entre 1587 et 1629, l’art des tapis persans atteint son âge d’or. Alors que les tapis étaient auparavant ornés de motifs géométriques, l’ère Safavide marque un renouveau pour le tapis persan : à la fin du XVe siècle, les motifs deviennent plus souples formant des vrilles végétales, entrelacs et arabesques. De telles formes nécessitent encore plus d’habileté de la part des tisserands. D’ailleurs, dans sa nouvelle capitale d’Esfahan, le Shah Abbas installe un atelier de cour où tisserands collaborent avec des artisans royaux où ils avaient à leur disposition des matériaux de la plus haute exception comme de soie, fils d’or et d’argent, afin de fabriquer des pièces extraordinaires. Un des tapis les plus célèbres de cette époque est celui de la mosquée d’Ardabil tissé en 1539 que l’on peut retrouver au Victoria & Albert Museum de Londres.
Les techniques du tapis persan
Les matières premières
Des millénaires après l’apparition des premiers tapis, les artisans continuent à utiliser la laine de mouton et d’agneau, qui reste assez bon marché.
Le coton est utilisé exclusivement pour la chaîne et la trame afin d’assurer une bonne résistance au tapis. Dans les tapis très précieux, on utilise de la soie. Pour certains tapis anciens de l’ère Safavide, des fils d'argent, d'or, ou de soie entourés d'un fil de métal précieux étaient aussi employés.
Les colorants
La plupart des artisans iraniens continuent d’utiliser les colorants naturels suivants :
La racine de garance donne du rouge
Les feuilles de l'indigo donnent un bleu très foncé
Les feuilles de vigne et le safran donnent les tons jaunes
Le sulfate de cuivre mélangé au bleu et du jaune permet d’obtenir le vert
La laine et/ou le brou de noix fournissent les gris et le marron
La laine naturelle de mouton ou le poil de chameau noir donne la couleur noire
La technique
Il existe quatre sortes de métiers :
- Le métier horizontal : employé aujourd'hui que par des nomades, il consiste simplement en deux barres de bois entre lesquelles sont tendus les fils de laine dans le sens de la longueur. Durant le travail, les fils de chaîne sont maintenus tendus grâce à deux pieux liés aux extrémités de chaque barre et plantés dans le sol.
- Le métier vertical fixe : employé dans les usines rustiques il consiste en un cadre vertical dont les montants supportent les extrémités de deux barres rondes et parallèles appelées “ensouples”. Entre ces deux ensouples sont fixés les fils de chaîne. L’ouvrier est assis sur une planche qui repose sur les barreaux de deux échelles fixées à l’ensemble. Au fur et à mesure que le nouage progresse, la planche servant de siège doit s'élever en même temps que le tapis. Ce type de métier est utilisé pour des tapis dont la longueur ne dépassera pas celle du métier lui-même, c'est-à-dire trois mètres.
- Le métier de Tabriz : amélioration du métier vertical, il est répandu dans les grands centres de production en Iran. Dans ce type de métier, les fils de chaîne se déroulent de l'ensouple supérieure à la bobine inférieure, sous laquelle ils passent avant de revenir vers l'ensouple supérieure. Son avantage ? Il permet de nouer des pièces de longueur égale à deux fois la hauteur du métier.
- Le métier à ensouples rotatives : version la plus évoluée du métier vertical, ici tout le fil de chaîne nécessaire au nouage du tapis est enroulé sur l'ensouple supérieure, tandis que sur la bobine inférieure s'enroule le tapis au fur et à mesure du travail. Son avantage ? Il est possible de confectionner des tapis de n’importe quelle longueur.
Les différents formats
Ghali (littéralement « tapis ») : désigne les tapis de grande dimension, de plus de 190 × 280 cm.
Dozar ou Sedjadeh : vient de do, « deux » et zar, une mesure persane correspondant à 105 cm environ. Ces tapis mesurent approximativement 130-140 centimètres de largeur pour 200-210 centimètres de longueur.
Ghalitcheh : tapis de même format que les précédents mais de qualité très fine.
Kelleghi ou Kelley : tapis de format allongé, mesurant environ 150−200 × 300−600 cm. Ce tapis est traditionnellement réservé à être disposé en tête (kalleh signifie « tête » en persan).
Kenareh (littéralement « côté »): format allongé aussi mais plus réduit ; 80−120 cm × 250−600 cm. Il est traditionnellement positionné sur les côtés d'un tapis plus grand.
Zaronim : correspondant à un zar et demi. Ces tapis mesurent donc environ 150 cm de long.
Le prix du tapis varie en fonction de sa taille, la technique et les matières premières utilisées.
Aujourd’hui comme depuis deux millénaires, le tissage des tapis est l’apanage des Iraniens. Les tapis persans sont célèbres pour leurs couleurs, la diversité de leurs motifs artistiques qui n’ont fait qu’évoluer au cours des époques et des invasions successives. Malgré l’évolution des techniques, la qualité de leur conception demeure intacte.
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